Department of Political Studies - University of Catania

Jean Monnet Chair of European Comparative Politics


Jean Monnet Working Papers in Comparative and International Politics


 

Pierre Willa

University of Geneva

La Méditerranée comme Espace Inventé


November 1999 - JMWP n° 25


Toute étude ayant trait à la Méditerranée ne peut esquiver la question de sa démarcation. Elle se pose dans cet espace de manière sans doute plus critique que pour d’autres aires du monde, plus facilement perceptibles que la Méditerranée. Cette dernière souffre ainsi de son caractère hésitant.

La Méditerranée est pourtant un espace maritime facile à déterminer du point du vue du géographe : C’est une mer intérieure délimitée par les terres qui l’enferment, par le détroit de Gibraltar à l’Ouest et les côtes du Moyen-Orient à l’Est. Elle est le lieu de rencontre des continents africain, asiatique et européen. Elle s’étend sur environ 3800 kilomètres de long. Ses rives accueillent environ une vingtaine d’Etats et bientôt 200 millions d’habitants. Cette définition succincte ne rend cependant pas compte des réalités culturelle, socio-économique, historique ou géopolitique.

L’interprétation devient plus ardue lorsqu’on en vient à parler de « région méditerranéenne » ou de « Méditerranée », englobant alors dans le vocable les rives et les civilisations qui bordent cette mer, comme le processus de Barcelone le fait. Une difficulté étonnante lorsqu’on pense que la mare nostrum de Rome a marqué l’acte de naissance de cet espace dans l’esprit de ses riverains, imprégnés déjà par l’expérience hellène.

Les critères que proposent depuis lors les nombreux auteurs, poètes, historiens, philosophes ou politologues inspirés par cette mer originelle, sont souvent divergents, peu précis, pour qui veut comprendre ce que recouvre exactement le terme. La culture de l’olive paraît être la référence la plus commune, mais ne satisfait cependant pas une approche se désirant scientifique.

Le présent article vise à souligner tout d’abord, par une rapide analyse l’absence de caractère régional de la Méditerranée suivant les théories classiques des RI. Sur ce constat, nous proposons alors une approche inspirée de E.Hobsbawm et des théories constructivistes, qui nous permet de mieux appréhender les raisons de l’utilisation de la Méditerranée comme référence régionale. Son usage par différents acteurs est alors analysé, afin d’expliquer sa présence ou son absence dans leurs discours et en cerner les causes et l’évolution.

1. La Méditerranée : un lieu de contact entre différentes régions.

1.1. La région en relations internationales.

La définition d’une région est une question difficile en science politique, et en particulier en relations internationales, pour trouver des critères de définitions satisfaisants.

La région et le régionalisme sont des concepts récents dans les théories des relations internationales. Ils sont en effet en contradiction avec les théories réalistes, qui ont été toutes puissantes durant la guerre froide, limitant ainsi l’intérêt des chercheurs pour ce thème. La plupart des études existantes sont liées à l’Union Européenne et au régionalisme européen.

Le sujet du régionalisme est toutefois réapparu avec la fin de la guerre froide comme un thème récurant, en parallèle du phénomène de globalisation. On assiste à l’apparition d’une nouvelle approche, qui parle de plus en plus d’un monde multipolaire, divisé en grandes régions, phénomène souligné par le grand nombre d’accords régionaux qui ont été signés ces dernières années.

Plusieurs théories s’intéressent dès lors au phénomène régional, plusieurs courants sont de la sorte présents, et l’analyse régionale ne répond ainsi pas à une approche théorique unifiée[1]. Le choix est alors difficile parmi cette littérature hétérogène, dont chaque auteur présente une taxinomie de la région à défaut de proposer une définition explicite. Les critères proposés sont ainsi nombreux, quelques fois divergents, soulignant ainsi la difficulté d’un tel exercice en RI. Un problème de sélection et de hiérarchie se posent en conséquence.

Les différentes approches se rejoignent toutefois sur certains points qui nous donnent une représentation essentielle du concept : La continuité géographique des Etats concernés, le degré d’interactions, coopératives ou conflictuelles, l’intensité et la régularité de ces relations, le niveau d’influence réciproque entre les différents acteurs, leur sentiment d’appartenance. D’autres approches soulignent l’importance du degré d’homogénéité politique, économique ou culturelle ; de la distribution du pouvoir ou de l’impact de l’influence de puissances externes.

On peut ainsi avancer que la région est suivant ces théories, un sous-système international formé d’un groupe d’unités qui se différencient du système global par la nature et l’intensité de leurs interactions, sans forcément posséder un fort degré d’homogénéité. On peut ainsi arriver à former des idéaltypes[2] de région, suivant l’importance de tel ou tel critère : la région internationale transnationale, caractérisée par des échanges intenses entre sociétés civiles et qui peut se limiter à un domaine précis, comme les échanges économiques développés dans la région Asie-Pacifique ; la région internationale intergouvernementale, qui soulignent le caractère principalement intergouvernemental des relations et dont le Partenariat pour la paix de l’OTAN pourrait être un exemple ; la région internationale étendue, qui englobe les deux précédentes, dont l’Union Européenne est le plus proche exemple.

1.2. La Méditerranée, un lieu de contact plus qu’une région.

La Méditerranée contemporaine, encore influencée par les lignes de force de la guerre froide, ne répond pas à l’ensemble des critères susmentionnés. Elle est plutôt un lieu de rencontre et d’oppositions entre plusieurs régions plutôt qu’une région en elle-même, malgré le processus de recomposition actuelle[3].

En effet, les relations entre les différentes rives ne sont pas marquées par une régularité et une intensité suffisante pour pouvoir distinguer le bassin au rang d’une région; de même, un changement dans la politique d’un des Etats n’influencent pas forcément la politique des autres ; le sentiment d’appartenance des différents acteurs ne se réunit pas, en premier lieu autour de la Méditerranée ; de plus, le degré d’homogénéité du bassin est faible tant économiquement que politiquement et les défis communs aux différents Etats méditerranéens ne semblent pas suffire pour qualifier la Méditerranée.

Par contre, on peut définir plusieurs régions dans cette zone suivant les critères posés plus haut[4]: la plus intégrée est bien sûr la rive Nord formée par l’Europe communautaire, auquel on peut rattacher Malte et Chypre, candidats à l’adhésion communautaire. On peut lui opposer une région arabe, composée du Maghreb et du Moyen-Orient qui peut s’étendre suivant certaines logiques jusqu’au Golfe Persique. Le Sud-Est européen est la plupart du temps rattaché à la logique continentale, bien que nombre des événements y prenant place aient leur influence sur le bassin. La Turquie est quant à elle difficilement classable : ses orientations politiques la rattachent toutefois pour l’instant à la région européenne. Elle pourrait se trouver à terme isolée entre ces deux régions, européenne et arabe.

Les Etats de la zone européenne s’associent par des relations coopératives régulières. Ils ont tous fait vœu de s’intégrer de manière plus approfondie, limitant par là même leur indépendance au profit d’une organisation commune. Ils partagent les mêmes grandes lignes culturelles et d’organisation politique, sous-tendues par le christianisme. Ils font partie de la même alliance militaire. Les échanges et la coopération sont intenses et une certaine coordination existe entre eux au sein de l’Union Européenne (UE). Les critères d’une région internationale étendue sont ainsi présents.

Les Etats de la région arabe, formée du Machrek et du Maghreb, sont beaucoup moins associés. La coopération est souvent délaissée pour les relations conflictuelles. La cohérence régionale se trouve néanmoins dans le caractère musulman de ces Etats, comme le partage, dans une certaine mesure, d’une langue commune et d’un mouvement nationaliste visant à unifier la zone. Ces liens sont soutenus par l’existence de la Ligue arabe comme par leur opposition partagée à Israël, et subsidiairement à l’Iran. Cependant, les multiples échecs d’organisation collective couvrant partie ou l’ensemble de la région démontrent les limites actuelles d’une intégration plus poussée. Les contacts entre les gouvernements concernés continuent d’être toutefois plus importants que ceux qui traversent la Méditerranée, mais les échanges internes restent limités et passablement contrôlés. Ces Etats ont de plus des économies souvent non-complémentaires, limitant en conséquence le commerce, qui est avant tout orienté vers l’Europe. La définition d’une région internationale de type gouvernementale, mâtinée au Moyen-Orient de transnationale, convient donc mieux à la région arabe.

La Méditerranée paraît de la sorte plus dissocier que réunir ces deux régions. Les différences de développements socio-économiques, de forme de gouvernements ne sont que quelques illustrations de cette coupure. Les deux rives contribuent pour l’instant à des dynamiques distinctes : les Etats européens se tournent vers une intégration continentale et les Etats du Sud et de l’Est méditerranéen, en phase de développement depuis vingt ans, sont en retrait du phénomène de globalisation actuelle. De même, les différents acteurs participent plus intensément dans le cadre d’autres régions que dans une possible région méditerranéenne. Les relations entre les différents Etats n’ont rien de réguliers. Ils ne possèdent pas pour l’instant d’agendas communs, ni une compréhension collective des enjeux[5].

La notion de Méditerranée ou de région méditerranéenne, suivant une définition des relations internationales, reste ainsi sans réalité concrète pour l’instant. Elle est pourtant de plus en plus utilisée par différents Etats et organisations internationales, particulièrement en Europe, et semble coïncider avec certaines ambitions. Une autre approche théorique est ainsi nécessaire pour comprendre l’utilisation de plus en plus courante de cette référence méditerranéenne malgré son irréalité matérielle.

2. L’invention de la Méditerranée.

Si l’on s’inspire de l’approche d’Eric Hobsbawm[6] et on l’adapte à la Méditerranée, l’analyse de cette notion –la Méditerranée- prend une autre forme. Plutôt que de définir théoriquement ce que recouvre la Méditerranée, il est sans doute plus fructueux de commencer par confronter les différentes représentations de cette dernière pour comprendre sa nature contemporaine.

La Méditerranée n’est ainsi plus conçue seulement comme une évocation géographique prégnante. Elle doit être attachée à une période historique, qui crée son sens, différent suivant le contexte. Il y a donc une part d’invention continue dans ce concept. On pourrait ainsi parler de « méditerranéisme », discours qui crée une certaine notion de la Méditerranée, suivant les structures du moment. On peut donc travestir les termes d’Hobsbawm[7] : ce n’est pas la Méditerranée qui crée le « méditerranéisme », mais c’est l’inverse, en d’autres termes, le discours crée l’objet. L’analyse des conceptions successives de la Méditerranée, et des discours y attenant, devient donc incontournable pour comprendre les raisons de l’emploi de cette référence méditerranéenne et les intérêts en présence qui définissent le véritable sens du mot.

On peut relier l’approche d’Hobsbawm au courant constructiviste en relations internationales[8] et à ses principaux postulats. Se basant sur une optique particulière des relations internationales[9], les constructivistes cherchent à comprendre, entre autres, comment certaines idées et concepts acquièrent une autorité institutionnelle, se développent en pratiques sociales et se naturalisent. Cette théorie –appelée cognitive evolution theory[10]- permet ainsi d’étudier le processus[11] d’adoption par les acteurs politiques de nouvelles interprétations de la réalité, introduites parfois par d’autres acteurs individuels ou sociaux. Les exemples de tels processus ne manquent pas. Il s’applique dans notre cas à la création de sentiments régionaux, ou d’une cognitive region, selon les termes de E.Adler[12].

Suivant l’approche constructiviste, les identités et les intérêts des Etats ne sont pas fixés mais évoluent suivant la diffusion et la convergence de compréhensions collectives dépassant les frontières nationales. Le sentiment d’appartenir à une communauté peut donc évoluer, et les différents acteurs, auparavant hétérogènes, peuvent être conduits à s’imaginer une destinée et une identité communes. Les frontières sont alors comprises comme imaginées, et peuvent changer sous l’effet de la communication entre les acteurs. Elles peuvent courir alors à l’intérieur d’Etat, réunir plusieurs Etats, groupant des individus séparés géographiquement, mais partageant les mêmes valeurs et normes. Cette optique suggère donc que les régions sont socialement construites par les acteurs et les institutions, et non plus seulement géographiques ou géopolitiques- des community-regions[13] selon les termes d’E.Adler. Les contenus des discours et actions de certains acteurs, principalement européens, en Méditerranée évoquent ce processus en partie volontaire de construction d’une région.

3.1. Différents discours pour des conceptions singulières.

Les conceptions de la Méditerranée ont toujours changé suivant les époques et les auteurs, recouvrant à chaque fois des réalités différentes. Cette partie espère montrer les principales raisons qui ont mené à la présence de ces « méditerranéismes » contemporains, suivant des évolutions différentes. Les diverses compréhensions et le changement de leurs contenus sont soulignées par quelques exemples de discours des acteurs concernés. Vu les limites du présent exercice, nous centrons l'examen sur l’Union Européenne et trois de ses Etats membres méditerranéens.

3.1.1. L’Euro-Méditerranée, une euro-invention.

Cette partie se centre sur le Partenariat euro-méditerranéen lancé à Barcelone en 1995. Toutefois, pour mieux cerner la nouveauté du discours européen actuel sur la Méditerranée, il est utile de rappeler les principaux stades des engagements de l’UE dans la zone. Malgré sa dénomination, la politique méditerranéenne a compris longtemps le bassin comme un agrégat d’Etats ayant des relations bilatérales et des accords particuliers avec l’UE. Une conception plus unitaire du bassin est récente dans les textes communautaires, comme on va le voir.

3.1.1.1. Résumé historique.

L’origine des rapports entre la Communauté Economique européenne (CEE) et ses voisins méditerranéens se fonde avant tout sur l’héritage colonial de plusieurs Etats membres. La CEE propose dès son origine à ces Etats, de même qu’aux Etats méditerranéens européens non-membres, des accords d’association[14], basés sur des échanges préférentiels, suivant leur situation géographique et politique, au cas par cas[15]. La future politique méditerranéenne de l’UE débute ainsi par une approche économique, sur les reliquats d’un passif historique.

La politique méditerranéenne ne commence en tant que telle qu’en 1972. Voulant rénover sa coopération avec le tiers-monde dans les années septante[16], la CEE lance en Méditerranée une approche globale (1972) qui réunit tous les Pays Tiers Méditerranéens (PTM), à l’exception de la Libye[17]. La nouvelle approche consiste alors à donner un cadre commun aux accords commerciaux et de coopération, et à en élargir le champ. Ce cadre global reste toutefois formé avant tout de relations bilatérales, souvent différentes suivant les Etats en cause. La Méditerranée n’est pas encore conçue en tant que telle dans la politique méditerranéenne, mais reste une superposition de relations. Cette politique vise avant tout à stabiliser le flanc sud de l’OTAN face à l’expansion soviétique[18], et à sécuriser l’approvisionnement énergétique de la CEE, dans un contexte de crise pétrolière[19]. Il est donc plus facile de considérer ces Etats dans le cadre d’une politique d’ensemble.

La deuxième phase la politique méditerranéenne communautaire est engendrée par l’arrivée de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal au sein de la CEE, ainsi que par l’application des derniers accords du GATT (Tokyo Round) qui érode les préférences accordées aux PTM durant les années septantes. La CEE apporte alors des changements aux accords d’association, leur adjoignant différents protocoles et une relative augmentation des aides financières.

Avec l’ouverture à l’Est, la Méditerranée, pourtant périphérie Sud de ce qui est devenu l’Union Européenne (UE), est relativement marginalisée. L’agenda communautaire est avant tout occupé par les bouleversements ayant lieu sur le continent européen et par la création du marché unique. Pour corriger ces conditions, la troisième phase de la politique méditerranéenne débute en décembre 1990 par la proposition d’une politique méditerranéenne rénovée qui n’entre véritablement en fonction qu’en 1992. Poursuivant la logique de l’approche globale, elle proroge un certain émiettement des différents statuts liant ces Etats à l’UE, allant de l’union douanière à des accords préférentiels.

Plusieurs événements attirent à nouveau l’attention de l’UE en Méditerranée : la guerre du Golfe en 1991 et ses suites sur les relations avec les Etats arabes, les développements du processus de paix au Moyen-Orient dont elle est absente, la guerre en ex-Yougoslavie et ses répercussions en Méditerranée et enfin la crise algérienne et son impact sur le bassin. Le grand nombre d’initiatives nationales[20] souligne alors cette prise de conscience, du besoin de donner un nouveau cadre aux relations dans la zone.

La politique communautaire divise toutefois toujours de manière implicite le Maghreb du Machrek, et reste donc en contradiction avec sa dénomination ‘globale et méditerranénne’. Cette attitude est soulignée par l’initiative de partenariat euro-Maghreb en 1992, projetant l’établissement d’une zone de libre-échange, et l’intention européenne de participer à l’intégration du Machrek séparément, sans référence aucune à la Méditerranée[21].

Cette attitude évolue alors suivant les changements du contexte général. La quatrième phase de la politique méditerranéenne est représentée par le projet de Partenariat euro-méditerranéen en 1995. Ce dernier est désigné alors comme un point de rupture de la politique méditerranéenne de l’UE qui devient plus ambitieuse et qui souligne pour la première fois la priorité de la Méditerranée comme zone stratégique pour l’UE[22]. La Méditerranée est alors traitée comme un ensemble, dont il faudrait s’occuper globalement, dépassant la fragmentation passée des politiques dans la zone. Le statut différencié des différents acteurs se proroge toutefois, allant d’une union douanière pour la Turquie, des perspectives d’adhésion pour Chypre et Malte et des accords d’association pour les autres. Cependant, l’ensemble de ces pays est traité dans un cadre institutionnelle commun, qui est censé favorisé les contacts entre eux et changer les perceptions de la région de la part de ces acteurs. Cette situation n’est ainsi pas comparable aux étapes précédentes, qui ne proposait aucun cadre multilatéral pour la Méditerranée. La Méditerranée figure ainsi parmi les régions pour des actions prioritaires de la Politique Extérieure et de Sécurité Commune (PESC)[23] et pour les stratégies communes assignées par le traité d’Amsterdam[24].

 

3.1.1.2. Un changement de rhétorique pour une nouvelle conception de ses intérêts.

La notion de Méditerranée et d’Euro-Méditerranée sont donc récentes et contextuelles dans le discours communautaire, bien que la Commission voie les étapes précédentes de ses actions dans la zone comme préparant ce dernier pas : « […] On constate donc un rapprochement progressif et qualitatif important, au fil du temps, préparant la voie pour un véritable espace euro-méditerranéen. » [25].

Ce n’est ainsi que quelques années après la fin de la guerre froide que l’UE et ses Etats membres commencent à traiter de la Méditerranée en termes véritablement régionaux dans leurs projets. Les équilibres sont bouleversés et demandent alors une vision nouvelle de son rôle à sa périphérie, déjà plus ou moins défini à l’Est mais pas dans le bassin. L’UE se veut un nouveau pôle de stabilité qui inclut son voisinage, comme les textes de la Commission l’avancent : « Depuis 1989, la Communauté se préoccupe surtout, en réaction à des mutations géopolitiques accélérées, de soutenir le développement économique, tant en Europe centrale et orientale que dans la région méditerranéenne.[…] La Communauté s’est donné pour règle de fonder les relations qu’elle entretient avec chaque région sur les besoins et les capacités qui lui sont propres.[…] »[26]. Le discours se fait aussi plus volontariste, : « A moyen terme la transformation de la Méditerranée en zone de prospérité et de stabilité relatives, présentant un haut niveau de coopération régionale et de libre-échange tant au sein de la zone qu’avec l’Europe imposera un accroissement substantiel de l’assistance technique et financière de la Communauté aux pays méditerranéens. »[27]. Et délimite enfin ce que la Communauté entend par Pays tiers méditerranéens (PTM) : « […] Tous les pays méditerranéens, c’est-à-dire ceux bordant la mer Méditerranée, plus la Jordanie et ayant conclu des accords avec la Communauté […]. »[28].

L’UE invente ainsi une région par ses actions et son discours, suivant un processus volontaire qui peut se rapprocher de la construction d’une cognitive region en Méditerranée, basée sur le mythe historique de cette mer, comme le souligne B.Kodmani-Darwish : « La Méditerranée comme concept historique existe, mais celle du présent est une construction artificielle, du moins nouvelle, parce qu’elle ne correspond à aucune réalité objective, que l’on perçoit ou conçoit spontanément- ni politique, ni linguistique, ni religieuse. Le substrat civilisationnel commun, bien qu’indéniable, n’existe même pas dans les esprits des intellectuels de part et d’autres des deux rives. […] C’est la raison pour laquelle, on parlera plutôt de région « choisie » ou de région « souhaitée » ou encore de région « projet ou chantier »[29]. L’UE développe donc un discours méditerranéen, messages politiques et économiques rassurants destinés aux Etats du bassin qui se sentent marginalisés. Cette démarche mène à un projet pour l’ensemble du bassin, qui suit d’autres initiatives nationales du même type. La conférence de Barcelone[30] propose en 1995 un but de prospérité et de stabilité pour la Méditerranée.

Ce discours répond aussi à une conception différente que l’UE se fait de ses propres intérêts, suite aux changements structurels qui ont pris place ces dernières années, suivant le constat de E.Remacle et F.Fénaux: «[ …]les pays de la Communauté européenne ont développé […] une perception différente de leur représentation de l’espace méditerranéen, qui ne peut apparaître qu’intégré dans un continuum stratégique euro-méditerranéen pour des raisons géographiques, historiques et socio-économiques. »[31]. L’UE vise avant tout un renforcement de sa zone d’influence, une nouvelle périphérie européenne. Barcelone n’appelle-t-elle pas à une région euro-méditerranéenne et non simplement méditerranéenne? La zone n’est ainsi pas conçue dans le discours communautaire comme une région autonome, mais avant tout comme une extension de la région européenne. Le résultat semble devoir être plutôt un accroissement de l’hégémonie européenne. Plus l’UE renforcera sa position dans le bassin, moins il sera possible pour une région méditerranéenne de voir le jour. La Méditerranée, dans la conception communautaire, doit s’appeler Euro-Méditerranée.

On peut ainsi comprendre ce changement de discours et de politique communautaires, suivant quatre orientations, liées à l’évolution de la compréhension que l’UE et ses membres ont de leurs intérêts : les répercussions de la fin de la guerre froide, les structures ‘matérielles’ actuelles de la Méditerranée et leurs compréhensions, les évolutions de la politique internationale et régionale et enfin la logique communautaire interne.

La fin de la guerre froide a tout d’abord laissé des vides que les principales puissances cherchent à occuper. Les dynamiques régionales ont changé, créant plusieurs orphelins, et débloquant plusieurs conjonctures. L’UE saisit alors les nouvelles possibilités de coopération à travers la Méditerranée qui lui sont ouvertes et ressent la nécessité de répondre à plusieurs défis présents dans le bassin, arrière-cour communautaire. Son discours s’adapte, suivant des intérêts conçus différemment, et veut ainsi faciliter à la création d’une région euro-mediterranéenne, qui regroupe sa frontière sud, comme le souligne un fonctionnaire européen : « The EU approach is extremely simple, both as to the ends and to the means. The EU wants to see established a peaceful neighbourhood, ideally something as cosy and harmonious as the EFTA in the 70’s and 80s. »[32]. Cette rhétorique méditerranéenne est donc initialement un moyen pour gérer de manière souple les problèmes émanant de ses frontières, suite à la fin de la bipolarité, et dépasser potentiellement les divisions actuelles.

Il faut de plus ajouter à ce contexte, les tendances à la globalisation qui s’accompagnent d’un phénomène de régionalisation du monde. L’UE veut construire un pôle régional pouvant tenir tête à la région Asie-Pacifique et à l’ALENA[33], comme le souligne B.Kodmani-Darwish : « […] L’émergence du concept même et du projet de construction de cet espace est pour une part liée à la nouvelle vision géoéconomique du monde qui s’est substitué à la vision géopolitique de la guerre froide. L’euro-méditerranée est désormais désignée comme espace de mobilisation et constitue, à ce titre, une région choisie par rapport à des régions naturelles ou spontanées. »[34]. L'assistance à la création d’une région autonome au Moyen-Orient n’est plus à l’ordre du jour, comme le montre les propos d’un fonctionnaire européen : « il devenait de plus en plus évident que l’UE devait élargir sa zone de proximité à la Méditerranée, si elle voulait garder une taille économique comparable aux grandes zones économiques qui se profilaient à l’horizon, à savoir l’ALENA et l’APEC »[35].

La Méditerranée, voisinage géographique de l’UE, recèle aussi, de par ses structures ‘matérielles’ actuelles, de nombreux défis à la sécurité, accrus dans les perceptions européennes par les temps instables de l’après-guerre froide[36]. De nouvelles menaces se sont alors révélées plus crûment : les différences de développements économiques entre les deux rives avec les problèmes sociaux qui en découlent, les migrations, la prolifération et le trafic d’armes, des conflits internes à la région ou la montée des extrémismes n’en sont que quelques exemples. La guerre civile en Algérie a sans aucun doute servit aussi de détonateur. Comme les deuxième et troisième phases de la politique méditerranéenne l’avaient montré[37], le bassin méditerranéen est avant tout conçu en termes de dangers conditionnant la sécurité européenne.

La sécurité et la stabilité de la Méditerranée sont devenus intimement liées à la sécurité de l’Europe, qui ne conçoit alors plus le bassin uniquement comme le flanc sud de l’Alliance atlantique, mais comme sa périphérie, qu’il s’agit de stabiliser, comme le souligne un fonctionnaire européen: « Europe has been frightened by the new security merging from its MED partners. It is no longer concerned about Russia creeping domination of its soft Mediterranean belly. Nor is Europe any longer (for how long is an open question) afraid about the security of its oil and gas supply. Europe now envisages rather threats stemming from uncontrolled immigration, political instability south of the Mediterranean, terrorism, drug smuggling. »[38]. À nouveau, les menaces potentielles émergeant de la Méditerranée font évoluer la politique européenne : l’UE craint que la Méditerranée ne devienne une ligne de conflit entre le Nord et le Sud, entre différentes civilisations, comme certains le prédisent. Une périphérie sud déstabilisée grèverait en effet la compétitivité européenne.

L’hégémonie économique européenne, toujours plus cohésive, cherche aussi des débouchés politiques et commerciaux dans ses périphéries, comme le soutient B.Kodmani-Darwish : « […] Pour l’Europe, la Méditerranée est l’espace d’expansion naturelle de son dynamisme économique et commercial, donc la zone privilégiée, avec l’Europe de l’Est, qui lui permettra de stabiliser son environnement pour maximiser ses atouts dans la compétition internationale. »[39].

La dépendance économique des Etats du bassin, les mouvements migratoires, les problèmes structurels partagés par ces Etats ont convaincu aussi l’UE que le meilleur moyen de gérer ces défis était de favoriser un rapprochement avec les Etats méditerranéens, comme le confirme le texte de Barcelone: « […]aware that the new political, economic, and social issues on both sides of the Mediterranean constitute common challenges calling for a co-ordinated overall response ;… »[40]. Les risques sont donc compris globalement et non-plus réservés à certains Etats ou régions méditerranéennes.

De plus, un contexte international particulièrement favorable à de nouvelles initiatives a pris place : le processus de paix au Moyen-Orient ouvre de nouvelles possibilités de coopération avec la région, comme le confirme les propos de E.Rhein, alors directeur de la division en charge de la Méditerranée : « […]les perspectives de paix, entre Israël et ses voisins, ouvraient des opportunités nouvelles pour redéfinir les rapports entre l’Europe et le Proche-orient : l’extension du concept euro-maghrébin à l’ensemble de la Méditerranée devenait concevable »[41]. Les signatures des accords d’Oslo (1991) et les négociations de Washington (1991-1993) pousse donc l’UE à s’intéresser au Moyen-Orient, bien que le Maghreb représentât une priorité. Cet intérêt est d’ailleurs partagé : les pays du Machrek, en particulier l’Egypte[42], ne veulent pas être exclus des initiatives de rapprochement entre l’Europe et le Maghreb. Ils cherchent de plus un contrepoids à l’influence devenue omnipotente de Washington. Cette situation permet à l’UE de se trouver un rôle dans une zone que les Etats-Unis veulent conserver comme une chasse gardée : L’UE participe par son initiative à l’intégration économique d’Israël à son environnement arabe, comme le projettent les USA, avec les infortunées conférences MENA[43]. Les Etats-Unis jouent néanmoins toujours les premiers rôles au Moyen-Orient et ne désirent pas y voir l’UE remplir une fonction autre que celle de bailleur de fonds. Il faut ajouter à ces événement un effet induit de la guerre du Golfe, qui a permis de lier tous les problèmes de la région dans les esprits[44].

À côté de ces causes structurelles et conjoncturelles méditerranéennes s’ajoutent des motifs liés à l’évolution du continent européen. La focalisation de l’attention communautaire à l’Est, ou en tout cas sa perception, et son élargissement au Nord, sont ressenties comme provoquant un certain déséquilibre, tout d’abord interne entre les Etats du Nord et du Sud communautaire, et ensuite dans ses relations extérieures. Les diverses initiatives méditerranéennes visent ainsi à combler ce déficit réel ou perçu. L’UE doit donc inventer un nouveau discours permettant de corriger ces décalages et de justifier ses actions vis-à-vis de sa périphérie, comme le confirme le texte communautaire suivant: « […]la présente communication apporte la preuve que la stratégie de pré-adhésion adoptée par la Communauté à l’égard des pays d’Europe centrale et orientale n’interfère en rien avec son engagement à resserrer ses liens avec ses voisins méditerranéens »[45].

Découlant de cette situation, les Etats du Sud de l’UE ont peur d’être marginalisés des nouvelles structures de sécurité, qui se dessine de manière purement atlantique[46]. Ils trouvent ainsi dans le développement de la notion de Méditerranée et de politique méditerranéenne, avec les dangers qu’on y accole, le moyen d’attirer l’attention de leurs partenaires vers le Sud, comme on le verra plus loin. De même, le désir de partager le poids des problèmes qui existent dans la région, à leurs frontières méridionales, conforte la volonté des Etats membres méditerranéens. Les initiatives nationales dans le cadre d’autres organisations sont là pour le confirmer. Le discours européen posant le bassin comme un problème provient aussi de cette volonté latine d'entraîner en Méditerranée leurs alliés occidentaux.

À ceci s'adjoint un fait nouveau, la volonté tacite européenne d’exporter son modèle. On peut se rallier au constat selon lequel l’Europe construit la région méditerranéenne en y injectant sa vision volontariste qui rappelle sa propre formation institutionnelle[47]. Bien que ce fait ne soit jamais avancé, le nouveau partenariat euro-méditerranéen suggère cette propension que d’autres posent de manière plus apparente : « It is a comprehensive one, based on interaction between Europe and the Mediterranean. The strategy aims at drawing the Mediterranean into the European mainstream, at stimulating change and adjustments on the other side, at opening up their societies, […] »[48].

Les politiques de l’UE et les discours susmentionnés soulignent le caractère social et volontaire de la construction d’une région. Ce concept de Méditerranée a été induit dans les institutions européennes par la volonté, entre autres, de certains Etats. Une fois adopté, il a en contrepartie influencé l’ensemble des acteurs actifs dans cet espace et a renforcé l’usage de la référence méditerranéenne, comme on va le voir. Toutes les organisations continentales possèdent par exemple une sorte de ‘dialogue méditerranéen’, de même que les Etats membres de l’UE utilisent de plus en plus ce concept.

La Méditerranée, différentes nations, différentes visions.

Vu les limites du présent exercice, il nous a semblé intéressant de comprendre l’évolution de l’usage de ce terme parmi les trois principaux Etats méditerranéens de l’UE, à l’origine en partie de l’évolution communautaire[49]. Le but de cette partie est de souligner l’évolution de leurs positions, les raisons des différents glissements de discours, de même que leurs convergences et divergences de définition du bassin méditerranéen.

Comme toutes les politiques étrangères, les différentes politiques nationales européennes répondent à des conceptions et des identités différentes, soulignées par les difficultés pour aboutir à une PESC digne de ce nom. Bien qu’une certaine convergence tende à apparaître parmi les Etats membres de l’UE, il faut tout d’abord se rendre compte des différentes origines, dont découle la conception actuelle plus ou moins commune du bassin, et ses causes, pour parler alors d’une politique européenne en Méditerranée.

La France[50] est à la fois une puissance globale, bien que secondaire, continentale, mais aussi méditerranéenne. Toute son histoire récente le suggère:  Au début du XXe siècle, la France se voit comme une nouvelle Rome, restaurant les liens entre les deux rives de la Méditerranée. L’important processus de colonisation, qui en découle, construit des relations économiques, politiques et culturelles fortes en particulier avec les territoires du Maghreb, qui accueillent en Algérie des colonies de peuplement. Cependant, cette position s’affaiblit avec la deuxième guerre mondiale, qui renforce le rôle prépondérant des Etats-Unis, reléguant Paris, sur la défensive, en deuxième ligue[51], malgré des tentatives malheureuses pour garder sa place.

Avec le règlement de la guerre d’Algérie et la signature de traités de coopération, De Gaulle dessine alors les contours de la stratégie post-coloniale française en Méditerranée. Après avoir soutenu Israël dans ses conflits face aux arabes jusqu’en 1966, les nouveaux traités signés avec ces derniers permettent la formulation de ce qui est alors appelé « la politique arabe de la France », censée être indépendante du conflit bipolaire. Cette nouvelle attitude est entre autres liée aux questions d’approvisionnement en énergie[52]. Elle continue durant les deux décennies suivantes, qui sont aussi empreintes par un activisme plus marqué dans le cadre de la CEE et dans ses relations commerciales dans le bassin. Cette politique reste néanmoins avant tout un agrégat de politiques bilatérales autonomes[53]. En 1980, après la déclaration de Venise[54], est lancé le dialogue euro-arabe dans lequel la France est un des principaux protagonistes. En 1983, Paris lance l’idée d’une conférence de la Méditerranée occidentale, qui se heurte au refus algérien, laissant les relations franco-maghrébines à leur caractère bilatéral. Durant ces années, les initiatives françaises au Machrek sont moins nombreuses et moins ambitieuses, se limitant à son soutien « traditionnel » au Liban, avec en particulier l’intervention militaire de 1983-4, à la volonté de jouer un rôle dans le conflit israélo-arabe et à un soutien financier et militaire à ses principaux alliés dans la région. Contrairement à sa tradition d’indépendance, la France se fait alors l’avocat d’une plus grande influence de l’OTAN en Méditerranée[55].

Ce passé marque encore la France contemporaine tant par l’importante population immigrée présente sur son territoire que dans ses relations en Méditerranée. La France a maintenu des relations fortes, en particulier avec l’Afrique du Nord, qui reste une zone d’influence notable, maintenue par les nombreuses  ‘relations particulières’ qui lient les Etats maghrébins à l’ancienne métropole, et par l’importance de leurs exportations vers la France.

Déjà influencée dans ses relations en Méditerranée par l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans la CEE, la fin de la guerre froide force la France à repenser son rôle dans la zone de manière fondamentale. Cette situation est encore renforcée par la guerre du Golfe qui signe la fin de la politique arabe, et de son corollaire, l’image particulière de la France dans la région. La nature du Moyen-orient a changé et la « spécificité politique française » ne correspond plus à une réalité, ni à ses possibilités. La crise algérienne, avec ses contrecoups en France, la prolifération d’armes de destruction massive et l’ensemble des risques susmentionnés affirmés par la fin du conflit bipolaire accroissent de plus en France le débat sécuritaire.

De manière générale, on peut avancer que la nouvelle structure des relations internationales demande à la France une nouvelle représentation. Ce changement souligne sa perte d’influence au Moyen-Orient et sa prise de conscience de ses moyens plus limités. La politique arabe devient alors méditerranéenne et se conçoit dans un cadre plus communautaire. La France se replie néanmoins sur le Maghreb qu’elle conçoit toujours comme sa zone d’influence, et lance le groupe 5+5 en 1990. La même année, elle s’oppose à la proposition italo-espagnole de CSCM, qualifiant l’élargissement de ce dialogue de prématuré et menaçant l’approfondissement des relations euro-maghrébines[56].

Toutefois, l’évolution du bassin et les échecs de ses initiatives poussent alors la France à soutenir et participer activement au lancement du Partenariat euro-méditerranéen. Le discours du président J.Chirac à l’Université du Caire en avril 1996 est ainsi représentatif de ces développements : […]cette grande politique arabe, la France souhaite la faire partager à l’Europe tout entière » et plus loin « […]Mais nous devons élargir notre horizon. Vous le savez, la France et l’Egypte nourrissent un autre grand dessein : bâtir une communauté méditerranéenne.[…] aujourd’hui la France veut en faire un trait d’union. Elle veut en faire une ambition essentielle de l’Union Européenne.[…] c’est pourquoi la France a lancé l’idée d’une conférence euro-méditerranéenne qui s’est réunie en novembre dernier à Barcelone. »[57].

Ce glissement de la rhétorique française comme ses politiques, passant d’arabes à maghrébines puis à méditerranéennes, dans la définition communautaire du terme, répondent toutefois, suivant Hayète Cherigui[58], à plusieurs facteurs spécifiques expliquant les raisons de cette évolution.

La politique arabe a été abandonnée au profit d’une politique méditerranéenne suite à plusieurs échecs bilatéraux, notamment dans sa coopération avec l’Algérie et avec le Liban, et suite à la guerre du Golfe. La France a perdu ses principaux alliés dans la région, comme l’espérance d’un rôle dans le règlement des conflits israélo-arabes[59]. La politique arabe était ainsi enterrée. La politique méditerranéenne en devient le supplétif.

La France commence sa coopération avec le Maghreb, où elle est en position de force tant par rapport aux Etats associés qu’aux autres Etats membres de l’UE. La France peut continuer à se positionner en leader dans cet espace euro-maghrébin. Son opposition à la CSCM, avec le soutien sur ses alliés maghrébins, le souligne.

Cette nouvelle stratégie française vise donc à maintenir son autorité et son « rang » en Méditerranée suite à la fin de la guerre froide et à la guerre du Golfe. Elle est liée à des considérations de puissance avant tout. Elle utilise ainsi des initiatives multilatérales pour renforcer son rôle et partager les coûts d’une telle action, qu’elle ne peut plus assumer seule, tout en s’assurant les retombées diplomatiques, comme le signale à nouveau J.Chirac : « […] Entraînée par la France, l’Union Européenne s’est donné, en juin dernier, à Cannes, les moyens financiers de cette ambition [méditerranéenne] : cinq milliards d’Ecus […] »[60].

L’élargissement à l’ensemble du bassin, alors que l’initiative française a débuté avec le Maghreb seulement, s’explique autant par des facteurs internes qu’externes : les évolutions du processus de paix au Moyen-Orient permettent d’espérer un rôle nouveau pour l’Europe dans la région. La France n’a plus les capacités de ses désirs et a ainsi besoin de ses partenaires pour avoir la taille critique et la crédibilité nécessaire à ses revendications. L’approche européenne se justifie ainsi par la légitimité qu’elle apporte. De plus, l’Italie et l’Espagne ont gagné en influence et se positionnent aussi comme générateur de projet en Méditerranée qui rassemble plus facilement que les initiatives françaises et qui sont de conception globale.

De plus, l’ouverture de l’UE au Nord et à l’Est a atténué l’influence de la France dans les instances communautaires. Elle cherche ainsi un rôle de leadership au Sud pour compenser le poids de la nouvelle Allemagne et des nouveaux Etats membres.

La référence méditerranéenne a donc clairement pris le pas sur la référence arabe dans la politique française. La définition adoptée en premier ne correspond toutefois pas à l’ensemble du pourtour pour les raisons que l’on a vues. La définition française de l’espace méditerranéen est donc clairement soumise à des considérations contextuelles, mais le nouvel environnement international a changé sa compréhension de l’espace. La France devient alors un fervent soutien et initiateur du processus euro-méditerranéen, qu’elle conçoit alors comme le seul cadre pouvant répondre aux défis présents, tout en gardant cependant des relations bilatérales fortes. Le discours méditerranéen cautionne ainsi cette évolution des initiatives françaises. La France garde de cette façon une influence centrale dans l’ensemble de l’initiative communautaire, et ainsi en Méditerranée. L’influence est devenue néanmoins réciproque entre la France, les institutions communautaires et les autres Etats membres.

L’Italie[61], de par sa position géographique centrale dans le bassin, a toujours eu une vue globale de la Méditerranée[62], scindée parfois par différents courants qui décomposent le bassin en sous-régions, occidentale et orientale[63]. Cette définition de la Méditerranée est attachée à la nature même du pays, enfermé au centre du bassin. Cette conception a relativement peu évolué, mais c’est plus l’intérêt que porte l’Italie à la Méditerranée qui a changé et qu’il est important d’étudier pour comprendre sa conception évolutive de cet espace.

L’Italie hésite dans ses priorités entre ses qualités méditerranéennes et européennes depuis longtemps[64]. La relative faiblesse de sa politique étrangère aggrave ce balancement, et sa force commerciale précède ainsi souvent son action politique[65].

L’Italie cherche au début du siècle à se constituer un empire colonial, à l’image de ses voisins européens, en Méditerranée et dans la corne de l’Afrique. La Libye devient ainsi une possession italienne en 1912. Le fascisme, arrivé au pouvoir avec Mussolini, favorise cette orientation, et vise à étendre son emprise sur les Balkans. La fin de la deuxième guerre mondiale coupe net ces ambitions et donne à l’Italie sa politique étrangère pour les années suivantes : adoption d’une position conciliante avec les Etats-Unis, et recherche de maximiser l’intérêt italien dans ce cadre bipolaire.

Ce n’est que dans les années cinquante que les questions d’approvisionnement énergétiques encouragent E.Mattei, alors ministre du commerce extérieur, à développer une timide politique autonome au Moyen-Orient pour développer un producteur national, qui deviendra l’Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) et qui regroupe encore aujourd’hui 90% des échanges avec le bassin[66]. Le discours méditerranéen refait ainsi surface, lié au pétrole, et au processus de décolonisation alors en cours. La Méditerranée devient de la sorte une plate-forme commune entre les catholiques et les communistes italien[67].

Cette attitude se généralise et l’Italie se différencie progressivement de l’attitude du grand frère américain lorsque des intérêts propres sont en jeu, en particulier dans le bassin méditerranéen et le Golfe. La crise pétrolière en 1974 oblige Rome, largement dépendante pour son énergie, à marquer une distinction entre ses vues et celles de Washington pour devenir davantage pro-arabe. Cette attitude concorde alors avec la politique du Vatican, particulièrement influente en Italie à ce moment[68]. L’Italie développe ainsi des relations commerciales importantes avec le Moyen-Orient.

Cependant, l’ensemble de la politique italienne reste fidèle aux lignes établies par l’Alliance Atlantique et par la CEE. L’Italie demeure totalement dépendante pour sa sécurité de l’OTAN et ne fait qu’utiliser la marge de manœuvre que la structure internationale lui donne alors. Ce double rôle, mêlant allégeance à l’Alliance Atlantique et représentation nationale lui donne alors les moyens d’une contribution importante dans les affaires du bassin. L’Italie renforce ses politiques d’aide et ses relations politiques bilatérales avec les principaux pays du Sud de la Méditerranée[69].

Ce cycle de la politique méditerranéenne italienne, attentif à son engagement atlantique et à son intérêt national, est toutefois affecté par trois événements [70]: la mise en liberté de Abu Abbas et la prise d’otage de l’Achille Lauro en 1985, qui provoque une crise avec les USA ; l’attentat de l’aéroport de Rome, en 1985, qui démontre que l’Italie n’est plus à l’abri du terrorisme palestinien ; et le bombardement américain de la Libye au début 1986, avec une réplique libyenne frappant l’île de Lampedusa, qui provoque une nouvelle dissension et souligne la dépendance italienne vis-à-vis Etats-Unis.

L’Italie semble prendre plus d'autonomie avec la nomination de Monsieur de Michelis aux Affaires Etrangères. Ce dernier propose alors en 1989 une nouvelle initiative méditerranéenne, en compagnie des espagnols, la CSCM, avec le résultat que l’on sait. Cet activisme méditerranéen disparaît avec son départ, mais montre combien l’Italie a changé durant les années huitantes, d’un acteur, consommateur de sécurité, à un partenaire plus consistant dans le cadre des alliances occidentales[71].

Toutefois, les multiples crises politiques, qui secouent l’Italie depuis 1992[72], l’empêchent de conduire une politique étrangère et méditerranéenne constante. La Méditerranée s’éloigne des préoccupations italiennes, qui sont avant tout intérieures et européennes. L’importance de la Méditerranée est aussi relativisée dans les perceptions italiennes avec la fin de la guerre froide, les soubresauts du processus de paix au Moyen-Orient et la guerre du Golfe. La fin de la guerre froide met de plus un terme à la rente que la bipolarité apportait à Rome. L’Italie, moins dépendante sur le marché du pétrole[73], restreint ainsi sa politique méditerranéenne et ressent sa concentration au Sud comme anachronique : l’Italie se veut un Etat européen avant tout, et son futur politique et commercial est envisagé tout d’abord en termes continentaux[74].

Comme pour le reste des acteurs européens, l’Italie perçoit alors avant tout plusieurs défis[75] en Méditerranée, devant une dimension de coopération : Rome craint en premier lieu les déstabilisations politiques des Etats du pourtour, qui peuvent provoquer des courants d’immigration importants et des difficultés d’approvisionnement énergétique.

Depuis la guerre du Golfe, l’Italie garde donc un profil bas en Méditerranée. Même sa traditionnelle place de porte-parole de l’Europe du Sud lui est soufflée par l’Espagne, qui développe alors son rôle dans le bassin. L’Italie continue toutefois d’être un actif partisan de toutes les initiatives méditerranéennes. Elle est ainsi à l’origine du dialogue méditerranéen de l’OTAN, du développement des contacts entre l’OSCE et le bassin, du Forum méditerranéen et garde un rôle important dans le processus de Barcelone.

La politique italienne en Méditerranée s’effectue dès lors principalement au travers des diverses institutions dont elle fait partie, et en particulier l’UE et l’OTAN[76], où elle pèse de tout son poids en faveur de la Méditerranée[77]. Aucune relation bilatérale forte n’est alors maintenue. Cette approche multilatérale correspond à la tendance de la politique étrangère italienne, européenne et atlantique[78]. De plus, elle lui permet de diminuer les coûts de sa politique dans un environnement post-guerre froide plus concurrentiel, mais la rend aussi plus dépendante de ces institutions. On assiste toutefois depuis l’avènement du gouvernement Prodi à un regain de la politique étrangère italienne en Méditerranée, comme on l’a vu récemment avec la Libye.

L’intérêt de l’Italie en Méditerranée a donc passablement évolué depuis la deuxième guerre mondiale. La position géographique de la « botte » l’a cependant toujours obligée à envisager sa frontière sud dans une conception méditerranéenne globale. À chaque fois que l’Italie lance une initiative en Méditerranée, elle tente d’y apporter une définition large des participants et la comprend toujours en terme méditerranéen. Son investissement dans le bassin semble dépendre avant tout de ses possibilités politiques et économiques. La principale évolution de la compréhension italienne de la Méditerranée est la redécouverte des Etats des Balkans à la fin de la guerre froide, qui restent liés néanmoins à sa politique continentale, mais aussi, dans les conceptions italiennes, à la Turquie[79].

L’Italie voit maintenant son avenir avant tout en Europe et dirige une bonne partie de son attention en Europe centrale et orientale, mais elle reste méditerranéenne. Les nombreuses initiatives multilatérales qu’elle a lancé le souligne. Un membre du gouvernement Prodi[80] exprimait la position nouvelle de l’Italie comme un lien entre la Méditerranée et l’Europe centrale. Il y a donc une certaine conjonction des interprétations italiennes et communautaires sur ce sujet.

L’Espagne[81] reste un cas singulier de par son passé, en particulier de dictature, qui teinte ses actions en Méditerranée. La dictature franquiste s’appuyait en effet sur une diplomatie méditerranéenne pour alléger l’isolement dans lequel elle se trouvait. Tout comme l’Italie, l’Espagne se définit comme un Etat du Sud de l’Europe, mais cependant tout aussi méditerranéen qu’atlantique.

Les contacts actuels de l’Espagne avec le bassin rappellent dans la mémoire collective de la péninsule l’occupation arabe de la moitié de son territoire[82], comme la possession de territoires au Maghreb, qu’elle doit abandonner durant la période de décolonisation et, en 1976, pour le Sahara occidental. L’Espagne est aussi le dernier Etat européen à posséder des territoires au Sud de la Méditerranée, avec les villes de Ceuta et Melilla.

Ces restes coloniaux continuent ainsi de teinter ses actions dans la région[83]. La jeune démocratie encore occupée par sa transition démocratique et sa stabilité interne, centre entre autres ses premiers efforts diplomatiques sur ses relations avec l’Algérie et le Maroc, détériorées par la question du Sahara occidental. La conception de la Méditerranée se limite alors pour l’Espagne principalement à cette question. Un large consensus interne sur la politique vis-à-vis du Maghreb n’est atteint qu’avec l’arrivée au pouvoir des socialistes, en 1982, qui permet l’établissement d’une politique régionale pragmatique[84].

Ce n’est qu’avec l’adhésion à la CEE que Madrid commence à avoir une vision d’ensemble de la Méditerranée, sous la pression de la politique méditerranéenne de la Communauté. En effet, cette dernière concernait nombre d’intérêts espagnols, puisque s’occupant de ses principaux rivaux commerciaux. De plus, même si ses intérêts en Méditerranée occidentale restent prioritaires[85], l’Espagne se doit de défendre son opinion sur les principales questions traitées en commun..

L’évolution de l’Espagne vers une compréhension plus globale du bassin peut ainsi se fixer dès le milieu des années huitante, mais elle reste influencée par des siècles d’engagement dans la zone. Son attention pour les Etats du Machrek provient aussi de son nouvel activisme dans plusieurs organisations internationales. L’Espagne reconnaît ainsi Israël en 1986, abandonnant sa posture partisane, mais tout en gardant ses relations favorables avec l’OLP et les Etats arabes. La méditerranéisation de sa politique étrangère s’accélère toutefois avec la fin de la guerre froide, qui relativise le poids des Etats du Sud dans l’UE, et avec les suites de la guerre du Golfe[86], qui change ses relations avec ses voisins du Sud. La guerre du Golfe apporte en effet un certain malaise, Madrid voulant garder ses bonnes relations avec les Etats arabes, comme avec Israël et les Etats Unis[87]. 

La politique de Madrid en Méditerranée peut ainsi s’interpréter suivant deux axes selon R.Gillespie[88] : tout d’abord ses intérêts dans le Maghreb, zone privilégiée de sa politique, et ensuite le développement de son engagement international et de son rôle à l’intérieur de l’UE qui développent la référence méditerranéenne.

La politique de l’Espagne démocratique dans ses relations avec le Maghreb est caractérisée par une relative continuité, basée sur une perception constante de ses intérêts dans cet espace. Les différents changements de gouvernements modifient peu les orientations générales face aux questions du Sahara occidental et les villes de Ceuta et Melilla[89] : Le règlement de la question du Sahara occidental est laissée en premier lier aux efforts des Nations Unies, que Madrid soutient dans la recherche d’une solution pouvant améliorer ses relations avec l’Algérie. Le statut des villes de Ceuta et Melilla reste quant à lui lié à la résolution de ce conflit saharien et à la question de Gibraltar. Dans les autres domaines, sa politique dans la région défend avant tout ses intérêts économiques, soutenus par un espoir sous-jacent à la politique de coopération et d’investissement espagnole au Maghreb de voir ces conflits bilatéraux s’évanouir devant l’interdépendance que les liens économiques et politiques peuvent créer[90].

Les relations bilatérales entre l’Espagne et le Maroc se sont ainsi développées durant ces vingt dernières années[91]. Cependant, deux conflits économiques et commerciaux entachent cette volonté : Les questions de la pêche et des exportations agricoles. Les intérêts agricoles similaires restent plus difficiles à concilier, les deux pays étant en concurrence forte sur le marché européen. L’Espagne a toutefois l’avantage de sa participation au marché commun, mais ne concède que difficilement une ouverture plus grande du marché aux producteurs marocains.

Les relations économiques avec Alger sont plus simples, les deux pays étant économiquement complémentaires. La question énergétique est là fondamentale, l’Espagne important 60% de son gaz de l’Algérie. Les questions politiques liées à la guerre civile algérienne sont ainsi soumises à des considérations ‘stratégiques’. Madrid a soutenu les actions du gouvernement algérien diplomatiquement et financièrement, avant de se rallier à une position commune européenne inexistante. Ces considérations énergétiques expliquent aussi en partie l’attitude espagnole défavorable à l’exclusion de la Libye des différentes enceintes internationales[92].

Cependant, comme ses partenaires européens, l’Espagne conçoit aussi la Méditerranée en termes de défis et de risques, surtout depuis la montée de l’islamisme dans les Etats du Maghreb et la fin de la guerre du Golfe. Cette dernière dynamise la politique méditerranéenne du gouvernement Gonzalez[93]. Madrid favorise alors une approche limitée au bassin occidental, malgré sa conception globaliste du bassin avancée dans le projet de CSCM.

Cette conception globaliste, nouvelle dans la compréhension ibérique, est liée à l’entrée de l’Espagne dans la CEE, mais dépend cependant aussi de considérations plus tactiques. Madrid se rend compte tout d’abord de l’avantage d’attirer l’UE en Méditerranée pour régler ses problèmes en les multilatéralisant, et en partageant les coups de ses initiatives[94], et ensuite de l’importance de la Méditerranée pour améliorer sa position à l’intérieur des institutions communautaires.

Depuis les années huitantes, l’Espagne conçoit en conséquence le développement de la politique méditerranéenne de l’UE comme un sujet prioritaire de son lobbying communautaire. La politique méditerranéenne devient une priorité, comme le souligne R.Gillespie : « not only was the area perceived as one that Spain could not afford to ignore, but also one in which it could operate as a first division European country, and by doing so facilitate its eventual ascent into the lead group of EU countries. »[95]. L’Espagne partage alors une responsabilité communautaire sur les sujets méditerranéens avec la France et l’Italie, toujours centrales. Madrid participe ainsi à l’initiative malheureuse de CSCM, en se chargeant de sa première formulation.

L’Espagne gagne dans les années nonante une influence importante dans l’affirmation de la politique méditerranéenne communautaire et essaie de canaliser les ressources de l’UE dans le bassin. En s’appuyant sur les Etats partageant les mêmes priorités en Méditerranée, et en liant ses initiatives méditerranéennes à d’autres questions importantes, par exemple les relations avec les Etats d’Europe centrale et orientale, Madrid recueille l’accord de tous les Etats membres pour le développement de la politique méditerranéenne. À ceci s’ajoute, l’importante représentation espagnole à des postes communautaires clés en charge de la Méditerranée, dont le commissaire M.Marin et M.A.Moratinos, actuellement représentant de l’UE au Moyen-Orient, souvent cité comme principal auteur de la déclaration de Barcelone[96]. On peut ainsi remarquer une instrumentalisation fragmentaire de la politique communautaire par l’Espagne[97]. Le processus euro-méditerranéen est ainsi teinté par les représentations et les expériences espagnoles précédentes en Méditerranée, comme on peut le remarquer en comparant le texte de Barcelone et en particulier le traité d’amitié hispano-marocaine, signé en 1991, et le projet de CSCM[98].

L’engagement espagnol dans plusieurs organisations internationales explique aussi son investissement plus récent dans le Machrek. La position particulière de l’Espagne lui permet alors de remplir un rôle d’interlocuteur au Machrek. En effet, Madrid entretient de bonnes relations avec toutes les parties prenantes aux conflits israélo-arabes, héritées de la politique franquiste et de la récente reconnaissance d’Israël.  Elle est de plus conçue comme un fidèle allié à Washington, grâce à ses actions dans le cadre de la guerre du Golfe ou de maintiens de la paix.

Ainsi, en l’espace d’une génération, l’Espagne est devenue un interlocuteur nécessaire en Méditerranée. Sa compréhension du bassin s’est ouverte à l’ensemble de son pourtour sous l’influence communautaire et de la fin de la guerre froide principalement. La volonté de reconnaissance et d’influence espagnole ont conduit Madrid à une politique active dans la région, correspondant aux critères de l’UE comme les définissant en partie. La politique étrangère espagnole et sa conception du bassin est ainsi liée à l’UE et à l’influence de l’Espagne dans les institutions et la politique communautaires. Sa participation à l’UE a donc fait évoluer sa compréhension de la Méditerranée et de là a encouragé à son développement communautaire.

4. Conclusion.

En conclusion, on peut ainsi relever que le discours méditerranéen de l’UE et de certains de ses Etats membres est récent. Il correspond à une certaine conjonction des compréhensions d’une nouvelle structure des relations internationales et une nouvelle définition de la sécurité, liées à la fin de la guerre froide, comme à des enjeux contextuels qui suivent la fin de la guerre du Golfe. Comme la plupart des différentes initiatives, les politiques de l’UE s’intéressant à la Méditerranée dans son ensemble commencent après la chute du Mur, mais la guerre du Golfe donne un nouvel élan.

L’approche théorique proposée permet ainsi de souligner qu’à chaque époque correspond un discours, un nouveau « méditerranéisme », soutenant un projet politique donné. On définit ainsi un espace et un discours soutenant cette nouvelle compréhension et la légitimant. Le contexte et les nouvelles structures des relations dans le bassin en sont la base et le discours méditerranéen, la nouvelle façon de les interpréter, du point de vue européen. L’analyse, suivant une optique constructiviste, des politiques et des discours visant à la formation d’une région méditerranéenne, donne une dimension nouvelle à cette problématique, en mettant en lumière les différents processus à l’œuvre, basé sur des intérêts particuliers, des capacités matérielles et sur une compréhension nouvelle de la réalité. Elle souligne ainsi le caractère avant tout social et construit des références, dans notre cas, régionales, qui peut mener à une nouvelle compréhension collective de la réalité.

L’évolution des structures internationales a aussi fait évoluer la conception et les compréhensions des acteurs actifs en Méditerranée, et, dans une relation dialectique entre les réalités matérielles et leurs interprétations, a modifié leurs discours, qui traitent de plus en plus du bassin comme un ensemble. L’approche de la Méditerranée varie, comme on l’a vu, d’un acteur à l’autre suivant ses intérêts, ses capacités, son interprétation des structures mondiales et son histoire, favorisant ainsi une certaine compétition pour imposer une définition. On peut toutefois remarquer une certaine convergence des compréhensions de la Méditerranée entre les trois Etats latins susmentionnés dans le cadre de l’UE, comme une captation partielle de la politique communautaire par ces derniers[99]. Parallèlement, il ne faut sous-estimer l’influence réciproque entre ces différents acteurs favorisant une relative convergence des intérêts et des compréhensions concernant la Méditerranée, comme ne pas méjuger l’influence des instances supranationales dans ce processus, bien qu’elles soient subordonnées aux impulsions données par les Etats membres. Les institutions communautaires permettent une légitimation du processus, tout en réunissant et harmonisant dans une certaine mesure, les intérêts des Etats membres dans la région

Ainsi, la fin de la guerre froide a sans doute libéré la zone méditerranéenne de la pression du conflit bipolaire, mais elle a aussi accru l’intérêt des différentes organisations et de différents Etats européens. La grande majorité des initiatives méditerranéennes trouvent leurs origines sur le continent européen, sous l’influence aussi de certains milieux intellectuels favorables à la référence méditerranéenne. Cependant, il faut voir cette évolution comme un agrandissement de la région européenne ou la gestion de cette frontière afin de protéger le processus d’intégration européen de la fragmentation de la zone. Il existe une certaine confusion dans les différentes initiatives, et en particulier le processus de Barcelone, entre coopération et intégration.

Cependant, cette volonté communautaire de cultiver l’Euro-Méditerranée comme une région, liée à l’UE, se heurte à plusieurs obstacles. Ce projet semble s’inscrire pour l’instant dans une perspective européenne avant tout, ni les Etats-Unis, ni les organisations mondiales ne reconnaissant pour l’instant une existence autonome à cet espace. De même, le discours méditerranéen se heurte à l’absence de ce concept dans les Etats partenaires, qui . ne semblent pas encore réceptifs à cette référence, qui a plus de peine à s’enraciner dans ces terrains. Ce processus est parfois perçu comme néo-colonial et comme une entreprise de morcellement de l’unité arabe. La référence méditerranéenne est ainsi avant tout comprise par les Etats prenant part au processus de Barcelone comme le moyen de se rapprocher de l’UE afin d’accéder à son bien-être et participer au système économique global, et souvent une façon de contrebalancer la toute puissance américaine en liant l’UE et sa stabilité à la Méditerranée.

De plus, les Etats-Unis jouent toujours les premiers rôles au Moyen-Orient et ne désirent pas voir l’UE remplir une fonction politique importante, qu’aucune politique Extérieure et de Sécurité Commune (PESC) digne de ce nom ne peut de toute manière soutenir en l’absence d’une stratégie commune cohérente pour la Méditerranée. A ceci s’ajoute la prééminence des problèmes politiques internes sur la rhétorique méditerranéenne, notamment dans les domaines agricole ou textile. De plus, une politique globale pour le bassin se heurte à des stades de développements différenciés des PTM, qui ne permettent pas une politique globale, chaque Etat demandant encore un traitement bien différent, que l’UE applique dans ses liens 

Sous l’impulsion européenne et dans la plupart des Etats et organisations continentales, on assiste néanmoins à une volonté de théoriser l’espace méditerranéen, ou plutôt euro-méditerranéen, de l’institutionnaliser.

L’UE se présente ainsi comme la productrice d’un projet qui vise à renforcer son rôle et celui de ses Etats membres dans l’espace qu’elle a choisi de déterminer. La Méditerranée est ainsi une construction idéelle récente qui se fonde sur le mythe méditerranéen et l’histoire commune des nations qui bordent cette mer. Le discours communautaire trace de nouvelles frontières, et vise à susciter une régionalisation, l’émergence d’une conscience régionale. Elle espère fédérer et séduire les autres participants à ce projet avec la faveur du développement des échanges, de sa force de persuasion et des fonds alloués. Elle propose un nouvel imaginaire collectif et tente de créer un référentiel commun pour tous les acteurs du bassin. La Méditerranée est alors pensée comme cadre global de traitement des enjeux, favorisant l'apparition d’un coussin de stabilité à la frontière sud de l’UE.



[1] Selon S.Calleya, les différentes écoles peuvent être caractérisées, le long d’un continuum, suivant l’importance qu’elles donnent aux facteurs externes et internes dans la formation d’un régionalisme. Certains, comme S. Huntington (Huntington, S., The Clash of civilizations ?, Foreign Affairs, 72, summer 1993), perçoivent les régions à travers le concept de civilisation et donnent ainsi la primauté aux facteurs internes (climat, langue, histoire, systèmes politiques,. De même, les théories de l’intégration (voir Haas,) négligent l’influence de puissances externes dans le processus d’intégration et subordonnent la formation d’un régionalisme aux facteurs internes. D’autres courants donnent la primauté aux facteurs externes (économie globale, rôle de puissances dominantes, organisations internationales, géographie,)  mettant alors l’accent sur l’influence du rôle d’une grande puissance, de l’économie internationale, du libre-échange ou de la globalisation dans la formation d’une région. Au milieu de ces deux extrêmes, se trouvent plusieurs auteurs qui s’attachent à trouver un équilibre entre les facteurs externes et internes dans leurs analyses, comme par exemple les approches de B.Buzan (Buzan, Barry) avec les complexes de sécurité, ou O.Waever (Waever, O). Pour une analyse plus détaillée des différents courants théoriques de l’analyse du régionalisme et une application à la Méditerranée: Calleya, Stephen C., Navigating Regional Dynamics in the Post-Cold War World, Aldershot, Darthmouth, 1997.

[2]  Voir : Calleya, S., op.cit.,p.39-5.

[3] Voir : De Puymège, Gérard, L’émergence institutionnelle de la Méditerranée, Relations Internationales, n.87, automne 1996, pp. 325-344.

[4] Voir : Calleya, S., op.cit., p.90-5

[5] Comme le souligne B.Kodmani-Darwish : « […]Le facteur spatial, c’est à dire la proximité géographique, n’est pas automatiquement producteur d’une région. Dans le domaine stratégique et militaire, la proximité est l’élément déterminant selon lequel les états doivent chercher à établir un équilibre, […]. Dans le domaine sociétal en revanche, le facteur spatial n’implique pas nécessairement une identité partagée ou une aire de solidarité. En Méditerranée, [il existe] deux univers socioéconomiques opposés.[…]. L’ensemble méditerranéen est au contraire une zone d’intersection entre plusieurs régions.[…] composé d’une multitude de groupe sociétaux, chacun aux prises avec ses incertitudes. »in : Kodmani-Darwish, Bassma, Pulsions et impulsions : l’euro-méditerranée comme enjeu de société, Politique étrangère, 1/98, printemps 98, p.38.

[6] Hobsbawm, Eric, Ranger, Terence, The invention of tradition, Cambridge, Canto, Cambridge UP, 1996, 1ère édition 1983, 307p., et en particulier le premier chapitre et Hobsbawm, Eric, Nations et nationalisme depuis 1870, 1990,Paris, Gallimard, 254p..

[7] Inspiré des divers textes d’Hobsbawm sur l’invention de la tradition et sur le nationalisme : « Néanmoins, quand on aborde la « question nationale », il est plus fructueux de commencer par la conception de la nation (c’est à dire par le nationalisme) que par la réalité que recouvre cette notion. Car la nation telle qu’elle est conçue peut être reconnue à titre prospectif, alors que la nation réelle ne peut être reconnue qu’a posteriori » et « Comme la plupart des gens sérieux qui ont étudié le problème, je ne considère pas la nation comme une entité sociale fondamentale, ni immuable. Elle appartient exclusivement à une période particulière, et historiquement récente ». in Hobsbawm, Eric, Nations et nationalisme depuis 1870, op.cit.,  p.19-20 et lié au thème de l’invention de la tradition : « Traditions which appears or claim to be old are often quite recent in origin and sometimes invented. […] The term ‘invented tradition’ is used in a broad, but not imprecise sense. It includes both the ‘traditions’ actually invented, constructed and formally instituted and those emerging in a less easily traceable manner within a brief and datable period […] » in : Hobsbawm, Eric, Ranger, Terence, The invention of tradition,op.cit., p. 1

[8] voir entre autres : Adler, Emanuel, Seizing the Middle Ground : Contructivism in World Politics, European Journal Of Internatinal Relations, Sept. 97, pp.319-363 ; Adler, Emmanuel, Imagined (Security) Communities: Cognitive Regions in International relations, Millenium, vol. 26, no.2, pp.249-277; Adler, E., Barnett, M., security Communities, Cambridge, Cabridge UP, 1998, 462p.; Ruggie, John Gerard, Constructing the World Polity, London/new-York, Routledge, 1998, 312p.; Wendt, Alexander, Constructing International Politics, International Security, vol. 20, no.1, Summer 1995, pp. 71-81 ; Wendt, Alexander, Collective identity formation and the international State, American political Science Review, vol. 88, n.2, June 1994, pp.384-396; Wendt, Alexander, Anarchy is what states make of it : the social construction of power politics, International Organization, 46, n.2, Spring 1992, pp.391-425.

[9] L’approche constructiviste se différencie des théories réalistes et néoréalistes de par son approche des relations internationales, ne limitant pas la réalité à une distribution de capacités matérielles mais tenant compte des relations sociales: Toutefois, elle partage avec les réalistes un certains nombres d’hypothèses comme l’aspect anarchique des relations internationales, la reconnaissance des capacités offensives des Etats, le manque de confiance dans les intentions de l’autre, et la rationalité des acteurs. Les constructivistes partagent avec les néo-marxistes ou même l’ensemble de l’école critique, comme post moderne, deux principes de bases : les structures fondamentales des relations internationales sont sociales plus que strictement matérielles, et ces structures façonnent l’identité et les intérêts des acteurs. Le courant constructiviste pourrait toutefois se rapprocher des néo-institutionnalistes, qui, bien que basant leur analyse sur les réalités matérielles, font entrer dans leurs considérations les idées et les conceptions des acteurs.

Cependant, le constructivisme en relations internationales va plus loin en liant les structures, les acteurs et leur compréhension de la réalité dans une relation dialectique. Les relations internationales sont alors comprises avant tout comme des faits sociaux participant à la structure sociale. Cette dernière est composée selon A.Wendt, de trois éléments , des connaissances communes, les ressources matérielles, qui ne prennent forme que par les interprétations des acteurs, qui se reflètent alors dans les pratiques. La réalité existe par le sens et les fonctions que les acteurs lui donnent : la compréhension collective et les normes dotent les objets physiques d’un sens, qui aide ainsi à constituer la réalité. L’anarchie du système international n’est ainsi pas la cause de quoi que ce soit. C’est avant tout la structure social et sa compréhension collective qui peut expliquer les effets l’anarchie du système.

Les identités, les intérêts et le comportement des acteurs sont alors socialement construits par les interprétations et la compréhension collectives du monde. L’approche constructiviste est donc une tentative de synthèse entre les dimensions matérielle, subjective et intersubjective des relations internationales. La réalité intersubjective existe alors grâce à la communication sociale, qui permet de partager certaines croyances et valeurs. L’approche constructiviste cherche à comprendre non seulement comment les structures constituent les identités et les intérêts des acteurs, mais aussi comment les acteurs individuels fondent ces structures.

La question du pouvoir est ainsi importante. Le pouvoir dépend non seulement des ressources pour imposer son point de vue aux autres, mais aussi de l’autorité qui permet de déterminer la compréhension collective de la réalité, sur laquelle se basent les identités, les intérêts et les pratiques des autres Etats. Puisque la réalité sociale est caractérisée par l’imposition de sens et de fonctions aux objets physiques qui n’en possèdent pas encore, la capacité de créer les règles du jeu sous-jacentes, de définir ce qui est possible et d’obliger les autres acteurs à se soumettre à ces règles, est peut-être la forme de pouvoir la plus subtile.

[10] Ils se basent sur une théorie de cognitive evolution : « Cognitive evolution [theory] is a homologous type of theory ; it holds that the way facts become established in the social world is relevant to the way they exert their influence. Thus cognitive evolution has history and historicity built into the theory ; it is interested in the origins of social or institutional facts, such as identities, interests, practices and institutions. […] Cognitive evolution means that at any point in time and place of historical process, institutional or social facts may be socially constructed by collective understandings of the physical and social that are subject to authoritative  (political) selection processes and thus to evolutionary change. Cognitive evolution is thus the process of innovation, domestic and international diffusion, political selection and effective institutionlization that creates the intersubjective  understanding on which the interests, practices and behavior of governments are based.». in : Adler, Emanuel, Seizing the Middle Ground : Contructivism in World Politics, op.cit. p. 339.

[11] Ce processus de naturalisation de certaines interprétations implique que d’autres interprétations sont délégitimisées. Selon cette approche, les interprétations qui sont naturalisées ne sont toutefois pas forcément les mieux adaptées mais celle qui réussissent à s’imposer comme collective. Elles doivent ainsi être soutenues par un certain pouvoir qui les légitime par son autorité. Cette naturalisation n’est pas un acte arbitraire mais découle d’une institutionnalisation d’une tradition qui apporte une meilleure ou nouvelle interprétation de la réalité. Ces nouvelles interprétations répondent toutefois à certains faits qui sont devenus conscients chez la plupart des acteurs. Cette institutionnalisation et naturalisation d’une nouvelle interprétation découlnte autant de sa diffusion  que d’une processus de négociation, si ce n’est de coercition.

[12] Adler, Emmanuel, Imagined (Security) Communities : Cognitive Regions in International Relations, op.cit., p.251-5.

[13] Ces community-regions sont formées par des acteurs dont les identités et les intérêts sont constitués par des compréhensions et des normes communes, qui communiquent activement par dessus les frontières, qui défendent des intérêts compris comme régionaux et qui favorisent l’établissement de la confiance entre les différents acteurs. Voir Adler, E., Imagined (Security) Communities : Cognitive Regions in International Relations, op.cit., p.254-5

[14] Pour plus de détails sur ces accords d’association, sur les accords suivants et leurs implications, voir : Bensidoun, Isabelle, Chevalier, Agnès, Europe-Méditerranée :le pari de l’Ouverture, Paris, Economica, 1996, pp.5-43 et Kadher, Bichara (Ed.), ibid., p. 249-261

[15] En conséquence, la Grèce et la Turquie signent des accords plus étendus, en vue d’une potentielle adhésion L’Espagne et le Portugal étaient exclus par leurs statuts de dictatures.

[16] Voir: Bensidoun, Isabelle, Chevalier, Agnès, op.cit. : la CEE rénove alors ses principaux instruments de coopération, notamment par le système de préférence généralisée pour favoriser les pays en voie de développement sur les marchés communautaires. Les accords avec les pays ACP sont multilatéraux, alors que les accords en Méditerranée sont bilatéraux.

[17] En fait : « aux pays riverains directs de la Méditerranée qui ont demandé ou qui demanderaient à entretenir des relations particulières avec la Communauté…et à la Jordanie », cité in : Kadher, Bichara (Ed.), op.cit., p. 252.

[18] Voir : E.Rhein, cité in : Kadher, Bichara (Ed.), ibid., p. 251.

[19] Un fonctionnaire européen le souligne d’ailleurs :  « The second stage of Europe’s Mediterranean policy was directed at quite a different threat perception, the threat of « oil weapon », of oil supply being cut off (cf., oil embargo against Netherlands in late 1973)”. In: Rhein, E., The role of the EU and the Economics of Security, Outline of an expose at Wilton Park, May 24, 1995.

[20] CSCM, 5+5, Forum méditerranéen, forum parlementaire.

[21] En 1992, L’UE lance l’idée d’un partenariat Euro-Maghrébin. Le Maghreb est alors compris comme la frontière sud de l’UE, demandant une nouvelle politique de voisinage. Aucune action dans les mêmes termes n’est entreprise avec le Machrek. La référence à la Méditerranée est là totalement absente, de même que les relations horizontales entre les deux sous-régions sont occultées. Voir à ce sujet : Commission des CE, SEC(92)401 final, L’avenir des relations entre la Communauté et le Maghreb, 30 avril 1992 Dans un document officieux, la commission dissocie clairement leur traitement : « […] C’est pourquoi, la Communauté pourrait apporter une contribution positive à l’évolution de la coopération entre les pays du Proche et du Moyen-orient en leur offrant de dialoguer avec eux sur le concept d’une entité économique du Moyen-orient », et propose même de lier les Etats du Moyen-Orient à la coopération avec le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) : « A plus long terme, et sur un plan plus général, si la coopération entre le CCG, l’Egypte et la Syrie devait être formalisée, voire élargie à d’autres pays de la région, la Communauté devrait adapter en conséquence ses relations avec les pays concernés. La Communauté pourrait par exemple établir un lien entre l’accord avec le CCG et l’extension d’une aire de coopération à l’Egypte, et à la Syrie ainsi qu’à la Jordanie et au Liban et plus tard à l’Irak et au Yémen », alors que les relations avec le Maghreb sont avant tout pensées dans les termes d’une intégration à la zone européenne : « L’insertion du Maghreb dans l’économie mondiale se fera nécessairement par le moyen […] d’une interpénétration beaucoup plus étroite des activités économiques avec la Communauté. […]L’objectif ultime serait de parvenir à établir entre une future union douanière de Maghreb et la Communauté, une zone de libre-échange. ».In : Non paper, la Communauté et l’après guerre du Golfe, dimension économique, Bruxelles le 15.04.91, p.5, p.3 et p.6.

[22] Conseil Européen, Déclaration de Barcelone, 25 novembre 1995, p.1.

[23] Voir entre autres les déclarations finales des sommets européens de Lisbonne (1992) et de Bruxelles (1993) qui fixent les zones prioritaires en vues d’actions communes.

[24] La stratégie commune de l’UE par rapport à son voisinage est inscite dans le traité d’Amsterdam. L’article 74 des conclusions de Vienne définit 4 zones pour des stratégies communes : Russie, Ukraine, région méditerranéenne, et région des Balkans occidentaux. La stratégie commune pour la Méditerranée, comprenant autant le processus de Barcelone que le processus de paix au Moyen-Orient, devrait être fixée d’ici la fin de l’année, suivant un fonctionnaire du Conseil.

[25] Conseil Européen, ibid, annexe 1, p.22

[26] Communication de la Commission au Conseil et au Parlement, SEC(94)427 final, Renforcement de la politique méditerranéenne de l’Union européenne : vers un partenariat euro-méditerranéen, Bulletin de l’UE, 2/95, p.10

[27] Communication de la Commission au Conseil et au Parlement, SEC(94)427 final , ibid. p.17

[28]  ibid, p. 18

[29] Kodmani-Darwish, Bassma, op.cit., p.38

[30] Le choix des Etats participants à la conférence de Barcelone fait l’objet de tractations intenses entre les Etats membres, comme avec les Etats-Unis. La définition de l’Euro-méditerranée prend forme. Plusieurs Etats désirent la participation des Etats-Unis et de la Libye au processus. Les Etats Unis étaient totalement opposés à cette participation libyenne. La solution trouvée fut de n’accepter que les Etats ayant des accords avec l’UE : la Libye était exclue, avec comme conséquence de ce choix, l’exclusion des USA. L’UE ne voulait pas de plus isoler Israël face à un bloc arabe, et désirait limiter le nombre de participants arabes. La solution trouvée était de la sorte concordante avec les divers pré-requis, compréhensions et intérêts : L’UE ne voulant de plus pas retomber dans les ornières du dialogue euro-arabe, la participation de la Turquie allait ainsi dans le sens de ne pas avoir deux acteurs, arabes et européens, de même que de réunir les seuls acteurs arabes et israéliens.

[31] Remacle, Eric, Fenaux, Pascal, op.cit., p. 54

[32] Rhein, E., a new strategy for the MED, Jérusalem, 30 may 1996, p.1

[33] Accord de Libre Echange Nord-Américain, qui regroupe le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. La volonté d’élargir cette zone à l’Amérique centrale et du Sud est annoncée.

[34] Kodmani-Darwish, Bassma, op.cit., p.39

[35] Rhein, E., Le pari euroméditerranéen : quelques réflexions sur la mise en place d’une zone de libre-échange (ZLE) euro-méditerranéen, IMA, Paris, 25-28 septembre, p.2.

[36] Voir : Aliboni, Roberto, The Mediterranean : a european view, IAI Documenti-paper for the international conference on « the Mediterranean : risks and challenge », 27-8 november 1992, 10p. ; ……………….

[37] Voir  entre autres: Commission des Communautés Européennes, SEC(90)812 final, vers une politique méditerranéenne rénovée, propositions pour la période 1992-96, Bruxelles, 1 juin 1990. Le commissaire européen L.Natali, en charge des affaires méditerranéennes, le soulignent en 1982 : « Geopolitical reasons in themselves make an impressive case for the necessity of a coherent European Community policy in the Mediterranean. A glance at the map proves it. Look first at the Balkans and the mouth of the Atlantic, Take in the Dardanelles and the petrol-producing region in the Near East: remember too that the Mediterranean is the inescapable north-south axis for links between Europe and Africa. We must question whether the Community could survive a serious disturbance in the Mediterranean… » Cité in : C.Calleya, op.cit., pp.192.

[38] Rhein, E., The New Euro-Mediterranean Partnership, Trans-Atlantic Workshop on Regionalism, Ebenhausen, July 4-6 1996.

[39] Kodmani-Darwish, Bassma, op.cit., p.39

[40] Draft-Déclaration de Barcelone, 1995, p.6

[41] Rhein, E., Le pari euroméditerranéen : quelques réflexions sur la mise en place d’une zone de libre-échange (ZLE) euro-méditerranéen, IMA, Paris, 25-28 septembre, p.2.

[42] L’Egypte a été à l’origine de la seule initiative méditerranéenne en provenance du Sud, avec le Forum méditerranéen, toujours en fonction. Elle a de même marqué son intérêt à resserrer ses liens avec l’UE par sa demande d’adhésion à l’Union du Maghreb Arabe.

[43] Middle East and North Africa. Summit : initiative économique, lancée principalement par les Etats-Unis, et visant à l’intégration d’Israël dans le Moyen-orient.

[44] S.Hussein a ainsi lié son retrait du Koweït au retrait israélien des territoires occupés. Les différentes populations des pays arabes ont réagi de manière globalement opposée à cette guerre, à la différence de leur dirigeants : la globalité des problèmes et des défis de la région devenait plus évidente et alors possible à traiter globalement. Les français furent ainsi les premiers à proposer à la fin de la guerre une conférence  portant sur le règlement de toutes ces questions, minant par là les efforts européens…

[45] Commission Européenne, COM (94) 427 final, op.cit, p.10

[46] Entretien avec Fernando Rodrigo, CERI, Madrid, 28.5.98.

[47] Voir : Kodmani-Darwish, Bassma, op.cit, p.39.

[48] Rhein, E. The role of the EU and the economics of security, Wilton park, may 24, 1995.

[49] Les présidences successives de l’Italie, de la France, de l’Espagne ont en effet permis de mettre en place l’initiative méditerranéenne de l’UE à Barcelone. Ces trois Etats ont ainsi été en grande partie à l’origine de la définition de cet espace.

[50] Pour plus de détails : Carle, Christophe, France, the Mediterranean and Southern European Security, in : Aliboni, Roberto (ed.), Southern European Security in the 1990’s, London, Frank Kass, 1992, pp. 40-46 ; David, Dominique, La politique méditerranéenne de la France, intervention au colloque de l’Institut Européen de Genève « l’Europe et la Méditerranée, 1996; Howorth, Jolyon, France and the Mediterranean in 1995, Mediterranean Quarterly, special issue on western approaches, vol.1, n.2, autumn 1996, pp.157-175.

[51] La France perd ainsi en 15 ans environ toutes ses colonies et protectorats : La Tunisie et le maroc accède à l’indépendance en 1956, l’Algérie en 1962, le Liban et la Syrie en

[52] Entretien avec J.-F. Daguzan, le 27.5.97.

[53] Chatouni-Dubarry, France’s Mediterranean Policy : New Challenges, Old Dilemmas, Alexandria,  MeSCo Conference,  29nd April-1st March 1995, p.2.

[54] Carle, Christophe, France, the Mediterranean and Southern European Security, in : Aliboni, Roberto (ed.), Southern European Security in the 1990’s, London, Frank Kass, 1992, pp. 43.

[55] Ibid., p.45.

[56] Carle, Christophe, France, the Mediterranean and Southern European Security, in : Aliboni, Roberto (ed.), Southern European Security in the 1990’s,op.cit. p. 48.

[57] Chirac, Jacques, La France et les monde arabes et méditerranéen, discours à l’Université du Caire, 8 avril 1998.

[58] Voir : Cherigui, Hayète, La politique méditerranéenne de la France, entre diplomatie collective et leadership, thèse de doctorat sous la direction d’A.Camau, Paris V, 1996, 571p..

[59] Voir : Chatouni-Dubarry, France’s Mediterranean Policy : New Challenges, Old Dilemmas, Alexandria,  MeSCo Conference,  29nd April-1st March 1995, p.2-4.

[60] Chirac, Jacques, La France et les monde arabes et méditerranéen, op.cit..

[61] Pour plus de détails : Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean : policies and goals after World War II, IAI Documenti-summary of the presentation at the Akademie für Politik und Zeitgeschehen and Hans Seidel Stiftung meeting of experts on « EU und Mittelmeerraum », Wildbach Kreuth, 10-12 June 1997, 7p. ; Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean in the nineties, IAI documenti-paper prepared as a chapter of reading “the Foreign Policies of the European union’s Mediterranean States  and Applicant Countries in the 1990’s: a Comparative Analysis”, edited by T.Couloumbis, F.Rodrigo, S.Stavridis, T.Veremis and N.Waites, devant être publié par MacMillan, 19p.; Aliboni, Roberto, L’Italie et le Maghreb dans la perspective du renouveau de la politi        que européenne, IAI-Doucmenti-Communication au séminaire international “ les relations euro-maghrébines”, AEI, Tunis, 24-26 novembre 1994; Guazzone, Laura, Italy’s policy towards the Mediterranean Middle East Area: an overview, IAI Documenti-Text of the lecture at the harry Truman Research institute for the Advancement of Peace, the Hebrew University, Jerusalem, 24 June 1991; Greco, ettore, Guazzone, Laura, Continuity and change in italy’s security policy, in: Southern European Security in the 1990s, London, Macmillan, pp. 69-85; Holmes, John W., Italy : in the Mediterranean, but of it ?, op.cit., pp.176-192.

[62] La notion de Méditerranée est comme partout sujette à interprétation. Elle semble être en Italie l’objet des clivages partisans, en tout cas durant la guerre froide : On en parle en terme de Nord et Sud dans les milieux catholiques communistes, en le liant au non-alignement. La Méditerranée représentait alors pour l’Italie une certaine autonomie, une vision anti-américaine et anti-impérialiste. Certains acteurs cependant restent attaché à la vision coloniale et se centrent avant tout sur la Libye. Les catholiques italiens et le Vatican cadrent leurs intérêts sur la Palestine et Jérusalem. Certains libéraux, comme les socialistes gardent néanmoins leur bienveillance à Israël. A ceci s’ajoutent plusieurs entrepreneurs libéraux qui se concentrent sur leurs principaux marchés : l’Egypte et laTurquie.

La notion courante de la Méditerranée en Italie, de par ses politiques et son histoire et ses relations bilatérales, semble ainsi recouvrir le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord de même que l’Europe orientale. Il y a toutefois une différence de perceptions entre Méditerranée orientale et occidentale. Les liens se fixent avec l’Egypte et, de manière plus récente mais moins importante, avec le Maghreb. Les liens avec le bassin oriental restent plus importants, et avant tout économiques, en particulier avec l’Egypte et la Libye. On peut relever un attachement à la Palestine, symbole aimé de la gauche italienne. Cependant, la vision globale reste dominante. (Entretien avec R.Aliboni, IAI, Rome, le 28.10.97)

[63] On souligne aux Affaires Etrangères la différence conceptuelle entre les deux côtés du bassin, bien que toute la Méditerranée dans son ensemble représente avant tout une frontière pour l’Italie. (Entretien avec L.Scarantino, Ministère des Affaires Etrangères, Farnesina, Rome, 3.11.97)

[64] Entretien avec la Drsa Dassù et Dr Missiroli, Rome, CESPI, 27.10.97 

[65] Holmes, John W., Italy : in the Mediterranean, but of it ?, op.cit., p.176-7.

[66] Entretien avec G.Luciani, Rome, ENI, 24.10.97.

[67] Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean : policies and goals after World War II,op.cit., p.2.

[68] Holmes, John W., Italy : in the Mediterranean, but of it ?, op.cit., p.178-9.

[69] Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean in the nineties, op.cit., p.3-4; Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean : policies and goals after World War II, op.cit, p.2 : « Between 1980 and 1990, Italy’s official development aid (ODA) increased from US$ 683 to 2,615 million at current prices (from 1,043to 2,764 at constant 1989 prices), the most important increase ever in Italy’s development co-operation resources »,

[70] Holmes, John W., Italy : in the Mediterranean, but of it ?, op.cit., p.179.

[71] Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean in the nineties, op.cit., p.5

[72] ibid., p.7

[73] Comme le souligne Holmes, le marché du pétrole s’est alors orienté vers l’offre et non plus, comme auparavant la demande.

[74] Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean in the nineties, op.cit., p.8

[75] Voir : ; Greco, ettore, Guazzone, Laura, Continuity and change in italy’s security policy, in: Southern European Security in the 1990s, op.cit., p.77-80.

[76] Holmes, John W., Italy : in the Mediterranean, but of it ?, op.cit., p.186. ; Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean in the nineties, op.cit., p.6

[77] Entretien avec M.Cremasco, Rome, IAI, 29.10.97

[78] Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean in the nineties, op.cit., p.14.

[79] Entretien avec R.Aliboni, IAI, Rome, le 28.10.97.

[80] Monsieur Ciampi, cité in : Aliboni, Roberto, Italy and the Mediterranean in the nineties, op.cit., p.10

[81] Pour plus de détails sur ce point: Barbé, Esther, La redécouverte de la Méditerraneé, Confluences méditerranée, l’Harmattan, n.2, hiver 1992, pp.69-76 ; Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, European Aspirations, Mediterranean Quarterly, special issues on Western approaches to the Mediterranean, vol. 1, nb.2, Autumn 1992, p.193-211 ; Larramendi, Miguel Hernando, La politique méditerranéenne du gouvernement Aznar, une continuité (in)attendue ?, Annuaire de la Méditerranée 1997, GERM, Publisud, 1997, pp.31-38.

[82] Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, European Aspirations, op.cit., p.195.

[83] Les villes de Ceuta et Melilla sont continuellement revendiquée par le Maroc. Elles ont été et restent périodiquement sources de tension. Cependant, cette question a été mise entre parenthèses par les deux Etats dans leurs relations récentes.

La question du Sahara occidental a été longtemps et reste sensible : Franco a accepté le retrait espagnol de cette partie du Sahara en faveur de l’armée marocaine sans consulter les populations autochtones. Porté par les principes d’autodétermination des peuples, Madrid hésita à renforcer alors ses relations avec le régime autoritaire d’Hassan II, qui, malgré tout, garantissait une certaine stabilité à sa frontière sud. De plus, cette question du Sahara occidental complique les relations algéro-espagnole : Cette région a pour le Maroc et l’Algérie une importance géopolitique certaine, et la forme du retrait espagnole, suite à un accord tripartite entre Madrid, Rabat et la Mauritanie, ne tient pas compte des intérêts algériens. L’Algérie soutient alors le Front Polisario, mouvement de guérilla visant à l’établissement d’un Etat indépendant au Sahara. Le Sahara occidental accueille donc toujours une force des Nations Unies, en attendant l’organisation d’un referendum d’indépendance.

[84] Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, op.cit., p.196

[85] Vilanova, A., Entretien, Université de Barcelone, 15.5.98

[86] Barbé, Esther, La redécouverte de la Méditerraneé, op.cit., p.69.

[87] Barbé, Esther, La redécouverte de la Méditerraneé, op.cit. p.73.

[88] Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, op.cit, pp.198-209.

[89] Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, op.cit., p.199.

[90] Mac Liman, A., Entertien, Madrid, 22.5.98

[91] les investissements espagnol au Maghreb concurrencent ainsi les investissements français, jusqu’alors prépondérant. De même, l’immigration marocaine en Espagne s’est énormément développée ces dernières années.

[92] Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, op.cit., p.200-201.

[93] Barbé, Esther, La redécouverte de la Méditerraneé, op.cit., p.75.

[94] Rodrigo, F., Entretien 27.5.98CERI, Madrid.

[95] Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, op.cit., p.204

[96] Rodrigo, F., Entretien 27.5.98, CERI, Madrid.

[97] Mac Liman A., Entretien, Madrid, 22.5.98.

[98] Gillespie, Richard, Spain and the Mediterranean : Southern Sensitivity, op.cit., p.207

[99] Mac Liman, A., Entretien, Madrid, 22.5.98.